jeudi 17 février 2011

Présentation

Les mutations induites par les technologies numériques (en particulier internet et la téléphonie mobile) nourrissent aujourd’hui une abondante littérature : s’agissant du champ culturel, ces travaux portent essentiellement sur la réorganisation du secteur industriel et l’adoption de nouveaux modèles économiques d’une part, et sur les formes inédites de réception et d’usage des contenus numériques par des publics amenés à endosser les rôles - traditionnellement dissociés - de producteurs, prescripteurs, diffuseurs, consommateurs, d’autre part.


Ces recherches se sont notamment centrées sur l’enjeu que représentait le numérique pour l’organisation des filières et ses principaux acteurs, sur la répartition de la valeur et les modes de rémunération – avec la question cruciale des évolutions du droit d’auteur -, sur les nouvelles stratégies de promotion et de distribution, sur les spécificités structurelles de chaque secteur (musique, cinéma, photographie, livre…). Elles ont ainsi pris en compte les caractéristiques économiques de la demande de biens culturels et des déterminants de la consommation, insistant en particulier sur la question du lien entre révolution numérique et piratage qu’a illustrée récemment l’adoption de la loi Hadopi.

Cet ensemble d’analyses a naturellement conduit les chercheurs – et les acteurs des filières concernées - à s’interroger sur les effets mais aussi les opportunités du numérique sur la diversification des modes de commercialisation de la musique, du cinéma, etc., et sur les formes de résistance ou à l’inverse d’adaptation au changement.


Par comparaison, la question de savoir comment les artistes et producteurs culturels eux-mêmes s’approprient ces nouveaux outils constitue un chantier qui reste largement à explorer, comme en attestent une série de travaux sur l’ethnographie du travail artistique, sur les nouveaux modèles économiques dans les industries culturelles, dans lesquels les contributions centrées sur le lien entre producteurs et numérique faisaient significativement figure de parent pauvre. Dans le champ de la photographie, les travaux des historiens de l’art ont certes permis d’aborder des questions telles que l’émergence des « nouveaux amateurs » ou encore les phénomènes de buzz, etc…


Mais tout un pan demande là aussi à être exploré en ce qui concerne la disparition ou le déclassement de certains métiers (les tireurs, les iconographes…), ou la diversité des comportements face à l’innovation. Et cette exploration du travail artistique en régime numérique nous semble d’autant plus importante à mener que les univers numériques secrètent eux-mêmes des mythologies ou des croyances particulièrement efficaces qui peuvent en brouiller la lecture sociale : L’idée d’une concurrence frontale des professionnels par les amateurs dans le secteur de la photographie, de nouveaux modes de consécration par les réseaux sociaux dans le domaine de la musique illustrent de manière exemplaire la confusion qui peut s’installer entre les « grands récits » du numérique et la portée véritable de l’innovation technologique.


En définitive, s’intéresser à la façon dont le numérique impacte le travail artistique, c’est se poser des questions telles que l’identification des différentes postures des professions artistiques face à l’innovation, l’abaissement des droits d’entrée qu’est réputé offrir internet, la capacité de court-circuitage des gate keepers traditionnels, la démocratisation de la pratique créative, l’apparition de nouvelles configurations collaboratives en réseaux, le surgissement de formes esthétiques inédites, la résistance au changement, les nouvelles formes de construction de la réputation ou de la valeur, la redéfinition du « professionnalisme », etc.